La Presse joue à l’autruche avec la langue
Par Mario Beaulieu et Luc Thériault, L'aut'journal , le 13 mai 2009
Mario Beaulieu est président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Luc Thériault est président du Mouvement Montréal français
Depuis
plusieurs années, les éditorialistes de La Presse n’ont de cesse de
dénigrer sans ménagement toute personne qui veut alerter l’opinion
publique sur la situation du français. Dimanche dernier, André Pratte
s’en est pris à Luc Plamondon, simplement parce qu’il a émis l’opinion
que l'avenir de la langue française est menacé, et particulièrement à
Montréal.
En taxant ce constat d’«étonnant» et de «caricatural»,
M. Pratte a présenté des chiffres soigneusement sélectionnés pour
donner un portrait d’un optimisme débridé. Cet optimisme nous paraît
tout aussi « caricatural » que sa critique de l’usage d’anglicismes
dans certaines oeuvres triées parmi les centaines de chansons que Luc
Plamondon a écrites pendant quatre décennies et pour lesquelles
l’Assemblée nationale l’a honoré.
Il n’est pas anodin que M.
Pratte ait sélectionné une période bien spécifique dans la grande
région métropolitaine (RMR) de Montréal. Il a ciblé la période de 1991
à 2006, indiquant une baisse de 2 % de la proportion de francophones de
langue maternelle (68 % à 66 %) et une baisse de 1 % de la proportion
d’anglophones (14 % à 13 %).
D’une part, il faut noter qu’en
termes démographiques un faible pourcentage peut refléter un changement
important. Ainsi, 2 % de la population de la RMR de Montréal équivaut à
plus de 71,000 individus, soit plus de 50 % de la RMR de
Trois-Rivières. D’autre part, M. Pratte omet de mentionner que les
chiffres qu’il cite indiquent que le français décline deux fois plus
que l’anglais.
Mais si M. Pratte avait choisi la période la plus
récente, et plus représentative de ce qui ce passe en ce moment, soit
de 2001 à 2006, il aurait fait un tout autre constat. Il en serait de
même s’il avait choisi l’indicateur de la langue d’usage au foyer – qui
reflète aussi davantage l’état actuel de la situation – plutôt que la
langue maternelle.
Ainsi, de 2001 à 2006 dans la RMR Montréal,
l'anglais passe de 17,3 à 17,4 % et le français, de 70,9 à 69,1 %. Sur
l'île de Montréal, l'anglais passe de 24,9 à 25,2 % et le français de
56,4 à 54,2 %, soit 7.6 points de pourcentage de moins qu’en 1986 (61,8
%).
On remarque également qu’en 2006, la proportion
d’anglophones de langue maternelle (13%) dans la RMR de Montréal double
pratiquement avec l’apport des transferts vers l’anglais comme langue
d’usage (25,2%), alors que le français en bénéficie faiblement (66% à
69,1%).
Le plus étonnant c’est qu’il y a à peine une année, dans
la foulée du scandale des études cachées par l’Office québécois de la
langue française, M. Pratte faisait un constat tout à fait similaire à
celui de M. Plamondon : « Même si l’école francise les enfants,
l’intégration linguistique de ces communautés sera plus difficile à
mesure que les francophones de souche sont moins nombreux. Le
gouvernement du Québec doit suivre la situation de près et ne pas
lésiner sur les moyens pour faciliter l’intégration en français des
immigrants. »
Mais ce que M. Pratte n’a surtout pas dit, c’est
qu’en 2006, la proportion de citoyens de langue maternelle française
est tombée en dessous des 80 % dans l’ensemble du Québec et sous le
seuil de 50 % sur l’île de Montréal. Les études prévisionnelles
indiquent une tendance lourde vers le déclin de la proportion de
francophones de la population à Montréal et dans l’ensemble du Québec.
Et
la solution n’est pas si compliquée. Elle constitue la normalité des
modes d’aménagement linguistique à travers le monde. Comme le conclut
Marc Termote, l’auteur de la fameuse étude prévisionnelle cachée par
l’OQLF : c’est la Loi du sol, qui consiste à avoir une langue dans les
services publics, une langue officielle qui rassemble tous les
citoyens, qu’ils soient unilingues ou multilingues.
À tout le
moins depuis l’établissement de la Loi 101, le journal La Presse a
adopté une politique éditoriale visant à étouffer le débat en laissant
croire que tout va bien au Québec et que tout effort pour renforcer la
Charte de la langue française relève de l'intolérance.
Certains
veulent éviter à tout prix de soulever le couvercle de la « marmite
linguistique ». Cette attitude constitue un recul en soi. Les Québécois
se voient ainsi privés d'une information vitale sur l'avenir du
français. Cela a créé une fausse impression de sécurité qui a légitimé
le bilinguisme institutionnel qui s'est répandu dans les services
publics et sur le marché du travail.
Le bilinguisme
institutionnel entraîne invariablement l'assimilation des langues
minoritaires. À l’extérieur du Québec, il n'a pas empêché
l'assimilation massive des francophones, qui s’est même accélérée. Dans
ce contexte, nous considérons qu’il est irresponsable de la part de la
direction de La Presse de jouer ainsi à l’autruche avec l’avenir du
français au Québec.