Descoings, un Haut-commissaire sachant cumuler ?
Par Philippe Cohen, Marianne 2 , le 2 juin 2009
Son rapport sur la réforme du lycée devait être remis en octobre. Il a été avancé. Il a démenti la rumeur (et l'article du Monde
) qui en faisait le successeur de Xavier Darcos au Ministère de
l'Education nationale. Sans doute avec raison : de sources
concordantes, il semble que l'entrée au gouvernement de Richard
Descoings choisisse la même voie que celle déjà empruntée par Martin
Hirsh et surtout Yazid Sabeg, Commissaire à l'égalité des chances (pour
l'inégalité des chances, voir Christine Lagarde). Sa nomination a
permis en effet à ce dernier de cumuler le Haut commissariat et la
direction de la SSII CS Communication et Systèmes.
La
nomination de Descoings possèderait-elle les mêmes vertus, en lui
permettrant de cumuler ses nouvelles fonctions avec celles de patron de
Sciences po, ce que ne permet pas le statut de ministre ? En tout cas,
on voit mal un homme aussi prudent que Descoings perdre le bénéfice de
treize ans de leadership à Science po pour un poste de Ministre qui a
ruiné la carrière de nombreux hommes politiques. D'autant que son
salaire à Science po n'est pas négligeable : selon une enquête parue dans la Tribune
sa rémunération mensuelle était de 17 000 brut (en 2005), auxquels
s'ajoutaient les 7000 euros alloués à son épouse. En outre, la
nomination de Descoings comme ministre n'est pas évidente. Il s'agit
d'un poste très politique, très exposé, et, comme le dit un hiérarque
de l'UMP, « Descoings, même sa concierge ne sait pas qui c'est. »
Richard
Descoings était un « produit sarkozyste » avant même que n'existe le
sarkozysme. Méprisant de fait la haute fonction publique jugée
« ringarde », Descoings s'est lancé dans une croissance inflationniste.
Objectif : 10 000 étudiants au moins avec la création de filières
professionnelles dans le domaine du droit de la communication, du
journalisme, des antennes de province, crées au détriment des iEP déjà
existants dans les grandes villes (Lyon, Bordeaux, Grenoble, Aix en
Provence, etc). Autant de formations vite montées sans beaucoup de
frais : Science po emploie 230 profs à plein temps et près de 3000
chargés de cours tout heureux d'apposer le précieux sigle sur leur
carte de visite. A chaque fois, le patron de Sciences Po recueille des
fonds publics (collectivités locales, état) ou privés (entreprises).
Le créneau de la diversité
Ce
dynamisme fait de l'effet dans les médias, qui ont tous peu ou prou
salué la création de filières d'accès à l'Institut d'études politiques
pour certains lycées de banlieue. Soit 120 élèves recrutés parmi un
bon millier de candidats, qui ne passent pas le concours « normal ».
Une filière de diversité qui ravit la droite sarkozyste comme la gauche
libérale, proche de ce que les Français croient être la discrimination
positive. Une conception plus que discutable de la démocratisation
puisque ces sciencepotards resteront des diplômés à part et que seul un
tout petit nombre lycées (62) sont concernés par le système.
Parallèlement à cette ouverture consensuelle, l'importance prise par
l'anglais dans le concours d'entrée continue d'écarter de la filière
principale les jeunes issus des classes populaires.
Mais la
croissance façon Descoings ne séduit pas tout le monde et en tout cas
pas l'agence de notation Fitch Ratings, dont la journaliste de la Tribune
Clarisse rapporte qu'elle a récemment pointé la fragilité financière de
Sciences po. L'institut a en effet puisé en moyenne 5,4 millions
d’euros dans ses réserves entre 1999 et 2004, et ses finances sont
durablement plombées par le prêt de 45 millions d'euros souscrit auprès
de la banque Dexia.
Un imposteur de premier ordre
On
saura aujourd'hui ce qu'il y a dans le rapport Descoings sur le lycée.
Mais sa façon d'en parler fleure bon les fondamentaux du sarkozysme
qui nous sont maintenant familiers. Le commissaire putatif aime, tout
comme le Président, à parler chiffres. A chaque passage à la télévision
ou à la radio, le patron de Sciences Po cite le nombre exact
d'établissements qu'il a visités, celui des milliers de professeurs, de
lycées et de proviseurs qu'il a soi-disant interrogé pour préparer son
rapport. Son blog de réforme
propose une Google Map de lycées visités impressionnante, comme si la
quantité était une garantie d'intelligence en matière de réforme.
Bref,
dans la gamme des imposteurs, Descoings est une sorte d'empereur. Il
était fait pour le sarkozysme déclinant que nous risquons à présent de
connaître; Mais c'est peut-être aussi pour s'en prémunir que l'éventuel
choix du statut de commissaire peut se révéler judicieux : Descoings
fait partie de ces techniciens à l'idéologie plastique que l'on peut
tout aussi bien retrouver dans un gouvernement de droite ou de gauche.
Il a donc tout l'avenir devant lui...