Retraites : la fièvre jeune fait peur à l'Elysée
Ce sont à peine 80 lycées (sur plus de 4 300) qui, d’après le ministère de l’Éducation ont été « touchés » par des mouvements divers de protestation contre la réforme des retraites. Mais l’Agence France Presse a relevé plusieurs centaines de lycées en mouvement et à la vérité, l’Élysée a commencé de s’angoisser. Le Château redoute plus encore que des grèves dans les transports, la « fièvre jeune », un coup de chaud en automne. Des blocages de bahuts, des milliers de lycéens qui prendraient la rue comme les pirates la mer, avec Le Risque de bavure inhérent à de telles irruptions : la mort d’un môme.
Tous les hommes de pouvoir aujourd’hui, et Nicolas Sarkozy le premier qui était en ces lointaines années petite main au cabinet du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, tous ceux-là ont encore en tête la «bavure fatale», la «mort de Malik Oussekine», ce jeune étudiant matraqué par les policiers voltigeurs alors qu’il manifestait pacifiquement. A la suite de son tragique décès, le chef du gouvernement de l’époque Jacques Chirac retirait le projet de réforme des universités du ministre Alain Devaquet, qui démissionnait peu de temps après.
Ce fut le premier d’une longue série de reculs et de dérobades devant les « djeuns ». Les sarkozystes s’en moquaient volontiers en prétendant que Jacques Chirac reculait dès que sortaient sur le trottoirs « trois trottinettes, deux landeaux et quatre poussettes ».
On se souvient du retrait du CPE de Dominique de Villepin, devant les
étudiants manifestant, soutenus par… le ministre de l’Intérieur Nicolas
Sarkozy ! Mais on a oublié que le même avait organisé la marche arrière
toute, devant les foules juvéniles qui refusaient le CIP de son grand
homme d’alors, le Premier ministre Edouard Balladur. On comprend donc
qu’il ait donné consignes aux préfets comme aux recteurs de surveiller
ce lait sur le feu, et consignes aux dirigeants et relais de la
majorité d’intervenir vite fait pour éviter tout bouillonnement.
Ainsi, vendredi dès potron-minet, le conseiller social de l’Élysée Raymond Soubie est, sur RTL, intervenu pour rappeler à l’ordre scolaire tous les « irresponsables »
qui voudraient manifester contre la réforme des retraites. Les
dirigeants des associations de parents d’élèves proches de la majorité,
comme la Peep, ont immédiatement embrayé, mettant en garde contre toute manipulation. On espère bien évidemment en haut lieu que le motif, « le prétexte »
dit-on, de la mobilisation serait trop éloigné des préoccupations
adolescentes : on ne s’emballerait pas contre une réforme des retraites
quand on a de 10 à 18 printemps. Certes. Mais dans l’opposition, on
caresse l’espérance inverse. Et en l’occurrence, tous les relais
associatifs et syndicaux ont été alertés. Car on sait parfaitement de
ce côté-là aussi la crainte que suscite un bourgeonnement estudiantin
et lycéen. Dis crument cela donne : « il n’y a que les jeunes pour leur foutre la trouille !... ».
PS,
PC, Verts, extrême gauche ont-ils encore les moyens d’entraîner la
relève dans un mouvement d’aînés ? Certes les progressistes de tous
poils ne sont plus ce qu’ils ont pu être dans le monde éducatif, mais
ils conservent un poids et une influence qui sont loin d’être
négligeables. Bien sûr, la retraite n’est pas la première préoccupation
de générations qui n’ont pas de boulot et peu de perspectives d’en
décrocher. Mais justement, ce milieu est inflammable. Explosif. Pour
ceux qui en douteraient, il suffit de lire la « Lettre à la Jeunesse »
(Éditions Grasset) que vient d’écrire Rama Yade et qui dresse un bilan
accablant pour son gouvernement comme pour les précédents, puisque les
jeunes français y apparaissent comme les plus frappés par le chômage,
les moins autonomes et les plus désespérés d’Europe. Pire encore, alors
que nous sommes bassinés par le culte de la jeunesse, cette jeunesse en
difficulté est « invisible ». On ne voit, on n’entend que les
bastonneurs de banlieues ou la fine fleur des beaux quartiers, mais la
grande masse qui galère dans des études aux débouchés incertains, ou
dans des stages de misère, celle-là est condamnée à remâcher ses
difficultés, ses échecs et sa dépendance parentale en silence. Cette
foultitude juvénile ignorée, dépréciée pourrait tout à fait se mettre
en mouvement ne serait ce que pour reprendre un coup de confiance en
elle, un coup d’amour, un coup d’on s’aime. Ce n’est pas sûr du tout
que ça passe par des manifs pour le retrait de la réforme des
retraites. Mais allez savoir par où va la vie….